1.
Au commencement étaient le ciel et le vent, le soleil et le feu.
Au commencement, la mer et les ruisseaux.
Au commencement était la terre.
Et quand la terre eut proféré, la terre se reposa.
La terre s’endormit. La terre s’oublia.
Mer, vent, feu, poussière.
La terre naissait du feu, le feu naissait de l’air,
L’air naissait de l’eau, l’eau sourdait de terre.
Mer, vent, feu et poussière en un cercle infini...
La terre alors se reposa, la terre alors s’endormit.
Alors la terre oublia quelques lézards assoupis sous la braise de ses pierres.
Et les lézards s’endormirent.
Et ils se réveillèrent.
Les lézards peuplèrent la terre.
La terre se couvrit de noms, la terre se fit leur livre ouvert.
La terre revêtit leurs écailles d’argent.
Sur la terre, ils se penchèrent, le regard triomphant.
Mais ce qu’ils virent les désola.
Ils ne virent plus la terre. La terre ils ne virent.
De la terre ils ne virent que leur propre reflet,
Une image séchée :
Leur corps sans vie et leur face blafarde, leur visage momifié.
Bienvenue, bienvenue,
Bienvenue dans le désert européen.
2.
Ici pas de bosquet sacré ni de ruisseau rieur :
Seuls le mouvement des plaques et l’horloge du monde,
L’horloge aveugle et le mouvement des plaques.
Ici pas de bosquet sacré ni de ruisseau rieur.
Seuls le mouvement des plaques et l’essence du monde :
Les quatre éléments sans aucune afféterie.
L’homme est assemblage de ces quatre éléments,
Les uns sont du ciel, les autres de la terre.
Quand il trouve xsa fin, se défait l’assemblage :
Certains fluides à la xterre xreviennent quand d’autres montent au ciel.
Le jaune vire au vert et le vert devient bleu et le bleu sera rouge.
Certains fluides au ciel quand d’autres à la terre.
Et rien ne s’arrêtait… Non, rien ne s’arrêtait…
3.
Terre brune rouge rouille, terre de fer, terre de flammes et de grenats,
Grenats du cœur de la terre : caillaux de sang d’un ventre incandescent.
Brun rouge rouille orange : ici se mêlèrent la lave et le sang.
Vert bouteille et vert de l’eau. Mines de cuivre mines de vert. Vert du cuivre et de la mer.
Blond des pailles et des citrons. Fauves, ocres et safrans.
Terre jaune sous le soleil. Or des spartes ondoyants. Mines d’or, mines d’or.
Bleu cobalt et bleu du vent. Azur les yeux outre la mer.
Bleu vert jaune et rouge :
Cuivre fer manganèse et cobalt.
Couleurs de la durée et d’un monde sans fin...
4.
Ceci est l’Europe ! Ceci est l’Afrique ! L’Afrique en Europe !
De la géologie,
La volcanologie,
La minéralogie,
De la géochimie,
La métallogénie,
Les généalogies,
Nous savons que ceci,
Que ceci est l’Afrique.
La plaque tectonique.
Non non ceci est l’Europe ! Tout ceci est la terre de nos rois catholiques !
Los Reyes los Reyes los Reyes Catolicos! Reyes! Reyes!
Almeria Alcazaba Alhabia Almanzora Los Medinas
Ceci est l’Europe lorsqu’elle naquit du sang,
Rouge ! Dans l’extermination ! Rouge ! Dans l’expulsion.
Extermination : première ! première extermination !
Ne doit rester que nous, que les autres disparaissent
Ne doit rester que nous, que les autres disparaissent
Extermination ! Première ! Take one ! Take one !
5.
Le passé oublié, nul ne peut plus parler.
On ne creuse plus rien.
Les années de famine !
De famine ? Quelle famine ? De famine il n’y eut.
Les années momifiées dans l’église assemblées,
Les années momifiées sous un même uniforme !
Des années momifiées ? Quelles années ? Des années il n’y eut.
Cette terre ne pouvait rester vierge, elle devait être prise
Par l’église et l’armée tout fut bien ordonné.
Les terres mises en champs, des villages édifiés.
Vinrent les coffres d’acier, les chiffres des banquiers,
Une chape d’argent trop vite accumulé
Le passé oublié nul ne peut plus parler.
On ne creuse plus rien. On ne creuse plus rien.
6.
Il fallait renommer, repeupler, contrôler, oublier, arrimer, recouvrir et bâtir,
Et les Rois imposèrent leur foi sur cette terre inhospitalière.
Et les rois sur cette terre imposèrent leur foi inhospitalière.
Renommer, repeupler, contrôler, oublier, arrimer, recouvrir et bâtir
Strates sur strates, couches sur couches.
Le plastique est écaille, le plastique est miroir :
De la terre ne reste que notre propre image.
Regardez ce village altéré ! Ce visage fardé !
Ce village d’images et de cartes postales !
Le passé mutilé, nul ne peut plus parler.
Destin, est-ce donc celà ? Est-ce là ce qui nous attend ?
Est-ce le grand effort des Rois catholiques ? Reyes catolicos ? Catolicos ?
7.
Ethylène
Propylène
Rois catholiques : rois des images.
Un monde d’images à notre propre image.
Ne doit rester que nous, que les autres disparaissent !
Take one ! take one !
Et nos villages blancs ne seront plus qu’images.
Ici même, jamais, n’arrivera plus rien et rien jamais n’est arrivé.
Un village en images, un village sans vie.
For rent, for sale, pour une poignée de dollars.
For rent, for sale, pour quelques dollars de plus.
Mais que sont les images? Mais que sont ces images?
Saints suaires modernes de ce lieu sacrifié?
Me voilà donc complice du règne et ses spectacles?
Ou espérance du beau, de la résurrection?
We speak English Deutsch olandes y frances
For rent for sale
8.
Regarde, regarde, voici la mémoire du lieu :
Cet enclos comme une île dans des vagues gelées.
Juan Paco Mari Sara Nacho José Julian Elé
De vos mains et vos pieds le recueil obstiné.
Le cimetière est plus vif que nous, enfants châtiés !
Nous paierons par le vide les excès de nos pères...
Sous mille et uns visages le vide s’est caché :
Une chape d’argent trop vite accumulé.
Visages hébétés par mille et un objets.
C’est ici que se fait l’opulence du lieu.
C’est ici que se fait la douleur du monde.
Ici nous fabriquons ici nous fabriquons
Ici nous fabriquons le futur du monde.
For rent for sale we speak
For rent we speak
We speak for rent we speak...
Et les lézards rampent
Ils rampent et rampent et rampent
Il n’y a plus de saison, madame.
Oh ! divine tomate ! Si tu n’es pas assez belle, je ne te mangerai pas, ne t’achèterai pas.
J’ai les yeux dans la bouche. J’ai les yeux dans la bouche.
9.
Quand la langue se vide, la terre est terrain vague.
Signaux ou enseignes : plastiques rutilants, écailles d’argent, miroirs aveuglants.
Mer sans couleur, de plastique océan.
Faire de ce désert vivant un hospice cuivré
Un hospice bronzé, un hospice blafard.
Que le Nord se gave de ce Sud embaumé
10.
Pepa prit l’un des pots et se mit à jouer !
Elle le fit tourner, le refit tourner !
Elle le fit tourner et tournoyer plus vite !
Le temps se mit à rire en une vrille hurlante !
Et des couleurs vives ne resta que le blanc,
Des linceuls le blanc et du deuil le blanc.
Pepa mit ses rollers et parcourut l’espace !
D’une chose consommée le double apparaissait !
Jamais un seul rayon le vide n’exhibait !
Le vide surgissait ? Pepa le saturait !
Le vide se masquait.
Le temps s’accélérait. Le temps disparaissait.
Ici même, jamais, il n’arrivera rien et rien jamais n’est arrivé.
Faut-il donc oublier ?
Erase and erase and erase and erase
Mais que sont ces images ? Saints Suaires modernes de ce lieu sacrifié ?
Me voilà donc complice du Règne et ses spectacles ?
Ou espérance du beau et de la survivance ?
Sous mille et un visages le vide se cache-t-il ?
Visages hébétés par mille et un objets...
Visages hébétés par mille...
Visages hébétés...
Visages...
Blêmes... blanc... blanc... blanc...
Esprit, es-tu là ?