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Plastico: un documentaire et un film musical.
10 mai 2013

Questions: musique tonale, perspective, environnement, scénario.

Rédiger un blog pendant la réalisation d'un film, avec tous ses temps morts, ses attentes, ... vous fait découvrir des choses et vous permet de les formuler, comme s'il s'agissait du film de quelqu'un d'autre. Ainsi, je me rends compte peu à peu de la cohérence formelle de "Plastico", une cohérence qui s'est imposée d'elle-même, qui s'est construite intuitivement, presque inconscioemment. Et de cette cohérence formelle émergent de nouvelles significations et de nouvelles questions. On pourrait ainsi aborder "Plastico" du point-de-vue du genre, des rôles sexuels, même si c'est en filigrane, et du sens que ce point-de-vue fait apparaître.

Pour moi, c'est passionnant et j'espère transmettre ici un peu de mon enthousiasme.

Ces temps morts permettent aussi de considérer son propre travail à la lumière de choses lues ou entendues entretemps.

Ainsi, la lecture accidentelle d'un article de Philippe Manoury me permet de mieux formuler ce que j'ai abordé dans un des premiers textes de ce blog consacrés à la musique de Plastico: http://www.philippemanoury.com/?p=5182

J'ai évoqué le lien possible entre développement de l'exploitation systématique des ressources terrestres, perspective en peinture et "harmonie" en musique. Mais le mot était mal choisi. Il n'est pas question d'harmonie, mais de tonalité.

Manoury fait apparaître en musique un retour contemporain au principe tonal contre la musique atonale du XXe siècle, ce principe tonal étant promu parce que naturel, soumis à des lois idéales. Il fait apparaître ainsi chez certains compositeurs un retour à une sensibilité proche de celle du XIXe siècle... celle de Thatcher, d'une certaine façon.

Au départ de ce texte, comment dès lors ne pas penser à cette manière revendicatrice, proprement réactionnaire qu'ont les capitaines d'industrie, politiciens, financiers de défendre les lois du marché comme étant naturelles, elles aussi, et donc idéalement efficaces, tous voulant en revenir au capitalisme sauvage du XIXe siècle?

Dans le domaine de la peinture, si l'on se remémore les idées de Panofsky sur l'apparition de la perspective monoculaire et l'ascension d'une bourgeoisie commerçante, le parallèle est frappant.

 

miracledelhostieperspective

Piero Ucello: Le miracle de l'hostie (1469)

 

Faire d'un lieu un paysage et le saisir dans une oeuvre ne serait que l'écho de la possession et exploitation d'une terre: ceci est ma propriété!

 

mr-mrs-andrews-gainsborough

Thomas Gainsborough: Mr and Mrs Andrews (1748)

 

A une époque où il apparaît clairement que les "lois naturelles" du business ne font que nous précipiter vers une catastrophe écologique planétaire, comment ne pas remettre en question le principe de tonalité en musique et la perspective monoculaire dans les images? Comment ne pas les critiquer, les mettre en crise?

Est-il donc légitime d'établir ainsi de tels liens intuitifs entre formes et systèmes économiques? Et que sont alors les images (photographiques, cinématographiques) régies par la perspective monoculaire? Les images bi-dimensionnelles organisées selon cette perspective monoculaire sont-elles donc irrémédiablement complices du capitalisme depuis ses origines jusqu'à ses folies actuelles?

En musique, seule l'atonalité permettrait donc d'y échapper? En revenant au "plus jamais ça" de l'après-guerre 40-45, de l'après-désastre?

Qu'en serait-il des arts plastiques? Faut-il sortir de la perspective monoculaire pour proposer des déambulations, des installations, des espaces tridimensionnels? Doit-on alors faire du paysage un espace, avec ses parcours, ses distances, ses déplacements?

Dans "Plastico", la mélancolie provient probablement non seulement d'un paysage qui disparaît, mais aussi de la crise de sa représentation.

Mais alors, si les images organisées par la perspective (peintures, photos, ...) sont soumises au temps (plans cinématographiques), sont-elles encore plus "criticables" lorsqu'elles sont soumises à une ligne narrative "tonale", pour ainsi dire? Aujourd'hui, on exige des documentaires qu'ils soient scénarisés, et, de préférence, qu'ils suivent une ligne narrative identifiable (l'enquête, par exemple, copiée des narrations fictionnelles). Cette narration linéaire (celle de l'enquête qui, malgré ses méandres, va naturellement de A à Z, Z étant un aboutissement, une conclusion, une solution, un message, ...) a tout de la perspective et de la tonalité: on suit une histoire de A à Z, on regarde une peinture illusionniste du premier plan jusqu'au point de fuite, on suit une musique tonale, linéaire jusqu'à sa conclusion.

Faut-il concevoir le film qui parle d'un lieu comme un road-movie qui ne mène nulle part? (Est-ce alors ce "nulle part" qui m'a tend fasciné dans la ferme abandonnée et surtout dans sa chapelle, là où la hiérarchie linéaire auditoire-prêtre-Dieu et Vérité est à présent vidée?)

Au cinéma, se soumettre aux exigences formelles du marché, même pour défendre un discours "progressiste", est-ce donc se rendre complice de la catastrophe annoncée?

Mais je ne fais que me formuler des choses déjà bien connues par d'autres et depuis des décennies (mais peut-être volontairement refoulées car contraires aux exigences des marchés). J'ai pour excuse de découvrir aujourd'hui la musique autrement qu'en la consommant comme auparavant, et d'ainsi établir des liens nouveaux pour moi.

Ce sont là des questions suggérées par "Plastico" et auxquelles je ne prétends d'ailleurs pas donner de réponse. Le chemin est plus important que la destination, n'est-ce pas? Je ne sais pas si mes explications sont très claires...

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Plastico: un documentaire et un film musical.
  • Se couvrant de serres de plastique, cette région d'Andalousie oublie son passé, et est la proie d'un désastre écologique et d'une crise culturelle: tout devient surface. Mais il s'agit peut-être d'une crise européenne.
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